LES FEMMES, ACTRICES ESSENTIELLES DE CETTE CRISE

Femmes en « première ligne » au travail, femmes sur « le front » du coronavirus mais aussi, femmes quasi invisibles dans les sphères décisionnelles et d’expertises, dans une langue toujours masculinisée et, encore, plus qu’habituellement, femmes victimes de violences au sein de la famille… Ces constats permettront-ils une analyse genrée de nos sociétés tant dans les sphères professionnelles, politiques… que privées ? Le « monde d’après » sera-t-il plus égalitaire ? 

Moins contaminées mais plus affectées.

Elles assurent 3 fois plus que les hommes les soins non rémunérés (Selon l’organisation internationale du travail), charge encore plus pesante en ce temps d’épidémie, de prise en charge des enfants, de la maison… Elles sont 98% des aides à domicile et des aides ménagères (selon les chiffres de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles – UNA), 89 % des aides-soignantes (selon la DREES – direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 88 % des infirmières (chiffres du Syndicat national des professionnels infirmiers), près de 80 % des caissières (d’après la DREES)…
Ces métiers, elles les exercent comme elles les exerçaient, avec encore plus de difficultés en ce moment mais la situation était déjà très tendue ; il suffit pour cela de voir les grèves, les manifestations, qui ont eu lieu, il suffit de constater les baisses de budget dans le secteur hospitalier, il suffit de regarder les rythmes de travail, les temps partiels imposés dans la grande distribution, et les salaires, pour saisir que les drames qui se jouent aujourd’hui, que les médias relatent, étaient inscrits, déjà dans les politiques menées depuis des années. Aujourd’hui on semble découvrir, révéler, que ces champs professionnels du « care« , de la grande distribution, etc., sont massivement, sans conteste, occupés par du personnel féminin.

Aujourd’hui, c’est, comme le dit Christiane Taubira, « une bande de femmes qui fait tenir la société ».

Même si elles sont souvent fortement impliquées dans ces métiers à forte valeur morale, elles sont quoi qu’il en soit contraintes d’être en poste pour des raisons économiques et sanitaires. Et les voilà propulsées au rang d’«Héroïnes»; elles deviennent ces soldates (les généraux : experts, médecins… sont bien sûr des hommes dans cette « guerre » ) qui se « distinguent par leur bravoure, par leurs mérites exceptionnels» (définition Larousse en ligne) et la métaphore guerrière file encore! 

Héroïne, l’opium du peuple

On en parle, on leur rend hommage dans les discours et à 20h, on chante, on applaudit…et ce n’est que justice. Toutefois n’y-a-t-il pas un risque à ce grand hommage qui leur est fait ? Ne s’agit-il pas une fois encore de singulariser ces héros et, donc, ici, particulièrement ces « héroïnes », de jouer la carte, encore si souvent posée, de « la » femme ?

Cette femme, unique, insondable, éternelle, iconique… et surtout totalement imaginaire. Une super woman capable de se dépasser face au grand ennemi du moment. Le risque n’est-il pas une fois encore de dresser des statues, nous consolant, peut-être, d’y voir, quelques femmes qui ne soient pas uniquement des allégories ? Le risque n’est-il pas de rendre des hommages là où il faudrait reconnaitre le travail de professionnelles, des réels métiers qui nécessitent formations, qualifications (et non ce que l’on imagine être des compétences naturelles des femmes à l’empathie, aux soins,…) et rémunérations enfin liées aux services rendus à la société. Alors oui, aux hommages et pourquoi pas aux « femmages », car, il y a beaucoup à dire sur le langage aussi, lorsque l’on voit et entend les médias ; une Une avec 50 portraits de femmes et titrée « avec eux », des commentateurs de journaux télévisés parlant « des caissiers, des infirmiers, … » 

Alors, oui, aux honneurs car la situation est exceptionnelle… mais la plus grande marque de reconnaissance ne serait-elle pas, ne sera-t-elle pas, on peut l’espérer, un réel accès pour toutes et tous aux postes à responsabilité, une réelle égalité salariale et des revalorisations de salaires conséquentes pour ces métiers jugés jusqu’alors insignifiants?

Héroïnes… et victimes

Plus de 150 mortes de féminicides en 2019 et aujourd’hui, dans ce contexte de confinement, une augmentation massive des violences intra-familiales. Les médias s’emparent du sujet, et, là encore, c’est une bonne chose, le gouvernement étend les numéros d’urgence et c’est absolument nécessaire.  Mais quid des raisons de ces violences, quid des mesures qui devaient être prises après le grenelle, des budgets indispensables ?

Quid de l’impérieuse nécessité d’analyser, réellement, en profondeur, une société qui reste fondamentalement patriarcale et souvent misogyne et machiste. Aux mesures d’urgence, indispensables, devront suivre des analyses systémiques, déjà menées de longue date par des groupes militants, féministes, afin de rendre visibles les processus qui génèrent, favorisent, ces inégalités, ces violences de genre, afin, enfin de proposer des solutions concrètes pour combattre l’inertie et l’aveuglement qui laissent perdurer les modèles sexistes de nos sociétés, afin, qu’enfin, Liberté, Égalité se conjuguent de manière consciente et avisée tant avec Fraternité que Sororité et aussi bien Solidarité.

Notre réflexion n’est pas confinée, elle se nourrit aujourd’hui comme hier des rencontres, des échanges, toujours riches avec les Sétois.es. Nous avons écouté, ici, des femmes, des professionnelles, qui ont souhaité nous dire ce qu’elles attendent, ce qu’elles vivent en cette période singulière et habituellement. Il est plus que jamais temps d’écouter ce qu’elles ont à dire, pour agir ensemble pour le monde d’après plus juste que nous attendons, que nous espérons, que nous construisons ensemble.