Interview Inès – Aide soignante

En France, les femmes représentent 89% des aide-soignant.es. En cette période d’épidémie, elles sont évidemment en première ligne. Inès est aide-soignante depuis de nombreuses années, elle travaille de nuit dans un hôpital de la région Occitanie. Elle est aussi syndicaliste et a à cœur de défendre les droits des travailleurs et travailleuses de nuit. Elle nous raconte les mesures prises, ou non, dans son travail depuis le début de l’épidémie, la manière dont elle vit la situation actuelle et ses attentes pour l’après COVID.

Pouvez-vous décrire votre travail et votre situation actuelle ?

Je travaille de nuit par choix mais les nuits ça fatigue, c’est compliqué pour la vie de famille. Quand tu es à 100% c’est 15 nuits par mois, je l’ai fait à une époque quand mon enfant était petit, mais avec la dégradation des services, de la prise en charge des patients, des soins, avec le manque de personnel et surtout le manque de reconnaissance des soignants…  Mais par contre, jamais je n’aurais pu reprendre le travail de jour. Le seul service qui m’intéressait c’était les urgences mais il n’y avait pas de femmes à l’époque ! La nuit tu es plus autonome, on n’est que deux, on a plus de facilité à prendre des initiatives dans le respect des législations. La journée, les filles finissent souvent épuisées physiquement et psychologiquement.

Pourquoi avez-vous eu l’envie de témoigner aujourd’hui ?

Je me bats pour les droits des femmes, pour la reconnaissance d’un travail qui est surtout un travail de femmes. On a besoin de relais, on ne peut pas laisser une frange de personnel invisible parce que la nuit on dort. Personne ne se préoccupe des travailleurs de nuit, la plupart sont des femmes, par choix ou imposé, elles font un travail difficile. Les femmes quand elles quittent le travail, elles emmènent les enfants à l’école, si les enfants ne mangent pas à la cantine, elles se lèvent à 11h pour aller les chercher… Donc si ça peut alerter certaines personnes, faire bouger un peu, c’est utile.

Au début de l’épidémie quelles mesures ont été prises par la direction ?

Les agents des services hors réanimation et urgences n’avaient pas le droit aux masques au début du COVID. Ça a été compliqué à gérer, il y a eu beaucoup de prises de becs entres agents et cadres qui ne font pas attention aux équipes de nuit. Mais heureusement, certains agents de jour nous donnaient parfois leurs propres masques de leurs dotations à eux. Normalement, il faudrait trois masques par nuit car on fait 10h, et un masque chirurgical c’est pour 4h maximum. Pour nous je pense que la direction a été à l’image du gouvernement.

Comment avez-vous vécu votre travail dans cette période ?

J’ai détesté. Mon service est progressivement monté en pression. Les médecins faisaient les test COVID aux patients à 10h du mat, à minuit le labo ou le médecin appelait et on nous disaient « lui est positif ». Donc ils étaient mutés sur l’hôpital en service COVID, on voyait les ambulanciers arrivés en scaphandre, on faisait jusqu’à 4 transferts par nuit avec du ménage à faire pour décontaminer les chambres, parce que c’étaient des chambres doubles et occupées. Quand on a vraiment craqué, c’est quand ils ont testé tout le personnel de l’étage mais sans penser à l’équipe de nuit, les 6 personnes, tout le monde les avait oubliés. L’équipe de nuit est complètement méprisée, on n’existe pas car nous, on est invisible. Quand je me suis mise au syndicat au départ c’est pour ce manque de reconnaissance. Il a fallu qu’on se fasse entendre, on nous a appelé, et on nous a dit qu’on serait testé après notre poste, donc à 9h du matin, personne ne pouvait venir de nuit. Les équipes de nuit ont toujours le même problème, la reconnaissance. Tout le monde pense qu’on dort, moi je peux avoir parfois jusqu’à 10 chutes de patients par nuit, je ne pense pas avoir le temps de me reposer. C’est des problèmes récurrents mais qui ont été accentués par le COVID.

Vous en avez parlé au syndicat ?

Oui et on a déclenché un CHSCT* extraordinaire qui a été demandé par le syndicat. Ça a réglé des problèmes et soulevé d’autres, comme la gestion des élèves aide-soignant et infirmier. Pendant les vacances scolaires l’hôpital leur a proposé des vrais contrats, pas des stages. Sinon on avait l’impression que c’était des petites mains, qu’on profitaient d’eux. Pareil pour la gestion de leurs tenues : les élèves, comme ils bougent sans arrêt entre établissements, ils lavaient leurs tenues chez eux, sauf qu’en étant dans les services et en période de COVID tu ne peux pas les laver chez toi. Au début j’ai même dû leur passer mes propres tenues. La direction n’était pas au courant car il faut reconnaître que cette situation n’avait jamais été soulevée ni vécue. Une fois informée, la direction a réglé ce problème. Je suis aussi allée au premier CHSCT qui était sur la sécurité des agents principalement, où il fallait discuter des protocoles qu’on voulait nous imposer. Les directions, suite au Plan Blanc déclenché par le gouvernement, ont eu le droit de faire  passer des agents en 12h sans respecter les protocoles habituels (CTE**, CHSCT) ou des nouvelles organisations de travail très anxiogènes pour les équipes. Nous avons compris en sortant que nous étions à disposition de l’hôpital H24.

* CHSCT : Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

** CTE : Comité technique d’établissement.

Y a t-il des différences de traitement entre hommes et femmes, ou entre personnels là où vous travaillez ?

Je dirais entre services : entre les urgences et les autres, entre équipes de jour et équipes de nuit. C’est que du matériel mais on voyait les collègues se prendre en photo avec des dons de pizzas, gâteaux etc. Et quand nous arrivions il n’y avait plus rien, on n’avait pas pensé à nous. On ne disait rien car c’est habituel, alors à quoi bon… Je pense qu’il y a moins de considération envers nous, sauf quelques attentions alimentaires et masques pour les équipes de nuit.

Et dans votre vie personnelle comment ça se passe ?

C’est très compliqué, je n’ai plus embrassé mon compagnon ni mon enfant pendant au moins 1 mois. Je me douchais avant de partir du travail, je me déshabillais dans les toilettes directement en rentrant. En fait j’ai mis d’autres barrières dans la maison en plus de celles du travail, j’avais comme un sas chez moi, entre ma porte d’entrée et mes toilettes. C’était mon rituel, psychologiquement c’est dur.

Pensez-vous que cette crise va changer vos conditions de travail?

Non, peut-être une augmentation des salaires, mais j’ai un gros doute. Il n’a pas été décidé d’arrêter le Plan Blanc alors on attend. Par contre j’espère qu’à partir du 11 mai on sera plus dans la rue, j’espère que les gens qui ont applaudi à 20h tous les soirs seront dehors. J’ai espoir parce que j’ai des membres de ma famille qui n’ont jamais manifesté et qui sont prêts à le faire à la prochaine manif. La perception a peut-être changé sur la fonction publique hospitalière, mais il faut aussi penser aux autres services publics, aux enseignants, aux cheminots. Vu comme nous on a galéré pour avoir des masques, c’est possible qu’ils soient les prochains à vivre ce que l’on a vécu. Il y a une solidarité entre toutes ces professions, on manifeste depuis des années ensemble pour les services publics.

Comment avez-vous vécu ces applaudissements à 20h tous les soirs ?

La première fois que je les ai entendus j’étais en tenue à 20h dans la rue, c’est l’heure à laquelle je pars au travail. Je me suis retrouvée sous les applaudissements et j’en ai été très gênée ! Du coup après je ne suis plus jamais partie à 20h ! Je trouve ça cool, mais maintenant j’attends le concret après le 11 mai.